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Mes doigts tambourinent sur le volant de mon automobile. Ma vitre est aux trois quarts baissée, mon coude gauche prend appui sur l'arrête de la vitre, la gourmette à mon poignet tinte contre le plexiglas. L'air chaud ébouriffe, délicat, ma tignasse épaisse et blonde. Mes lunettes de soleil me donnent l'allure d'un surfeur. Je me sens bien, Californien, la Résidence Santa Monica n'a jamais aussi bien porté son nom. Le ciel est bleu comme une piscine. Je conduis très lentement, épouse parfaitement les courbes des virages, me permets même le luxe de faire deux fois le tour du rond-point, c'est si bon, si rafraîchissant, de tourner ainsi en maintenant exactement la même allure. Comme un satellite décrivant des révolutions autour du globe, mon automobile et moi tournons autour de notre globe à nous, un terre-plein herbeux planté de fleurs étranges. Plus difficile en revanche est de conserver ce train californien sur la grande artère qui mène à la Ville. Klaxons et hurlements m'arrachent à ma torpeur délicieuse, je suis forcé d'accélérer, d'abandonner mon bonheur naissant. Ils l'auront voulu : je progresse soudainement de la seconde à la cinquième et débute une course folle, doublant autos et camions avec une facilité déconcertante, me faufilant entre les voies comme un serpent enragé, échappant à la mort par la grâce de ma dextérité, et par une chance inouïe. Après quelques brèves minutes, me voilà devant la bâtisse en pierre rose qu'un écriteau blanc orne au niveau du premier étage. Sur cet écriteau, on peut lire : Cours de Danse Mixte Jeanne Nugent Tous Niveaux Tous styles. Je gare mon automobile fumante devant le rez-de-chaussée vitré de l'immeuble et décide d'attendre en feuilletant le journal de la Résidence (je suis en avance, très en avance, considérant que je suis d'habitude légèrement en retard, et je déteste attendre avec les parents des autres enfants, leurs commentaires dégoulinants comme du coulis de figues me soulèvent l'estomac). Alors que je suis en train de fouiller, le dos courbé et le visage au niveau du volant, dans la boîte à gants à la recherche de mon journal, et qu'une mouche joue à la balançoire sur ma gourmette, sautillant parfois comme s'il s'agissait d'une corde à sauter pour venir heurter ses ailes chatouilleuses contre les trois veines fines et bombées de la partie inférieure de mon poignée, et que je la congédie d'un geste vif de la main droite, provoquant la retombée immédiate du fermoir de la boîte à gants, mon regard est attiré par une cohorte d'enfants gesticulant en rythme derrière la vitre du cours de danse. Je découvre ainsi que je peux à loisir, par l'espace raisonnable (une cinquantaine de centimètres) que le store baissé, mais pas complètement (store trop court ? volonté délibérée ? négligence ?), a ménagé, observer la fin du cours de danse sans être importuné par les mamans ébaubies. Les enfants forment une ronde désarticulée qui, à interstices réguliers, et, j'imagine, au signal inaudible pour moi d'une musique mystérieuse, se désagrège, chacun exécutant alors une volte-face sur lui-même, pour ensuite reprendre la main de son camarade, et ainsi de suite, le rythme de la ronde s'accentuant toujours jusqu'à provoquer l'hilarité des plus jeunes rappelés à l'ordre par ladite Jeanne, qui me semble rigidifiée, rendue plus sévère encore, par l'enjeu (la présence des parents). Mon petit frère ne se débrouille pas trop mal. Je vois à ses gestes mécaniques et à son regard absent que cette chorégraphie ne le passionne guère, mais je dois être le seul à percevoir cela, son talent est tel qu'il parvient à mimer parfaitement les pas et les figures que Jeanne répète devant eux, avec la mine excédée de celle qui s'épuise pour la millième fois, et en pure perte, à communiquer son génie créateur. Mon petit frère est ailleurs, mais son corps obéit, et Jeanne n'y voit que du feu (je crois même qu'elle le félicite, lui tapotant la nuque, en cherchant du regard ma mère, et les mamans de se retourner en clignant des yeux). Le cours est désormais terminé, les traits de Jeanne se détendent, et c'est elle que l'on félicite maintenant, c'est elle la vedette, elle que l'on entoure de toute son attention bienveillante alors que les enfants se sont envolés dans le vestiaire pour se changer, à croire qu'elle ne fait tout cela que pour ce moment-là, la récompense bruissante des adultes, de ses pareils, après l'ingratitude subie des enfants. Captivé par ce spectacle, une véritable ruche en ébullition que fendent des papas zélés tendant leur mouchoir pour que Jeanne éponge son front ruisselant, je sursaute lorsque la portière passager s'ouvre, et aussitôt, avec quelle violence, se referme.
Paris, juin 2003
Mathieu Roux: sur l'auteur
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« À Rome, on ne le couronnait pas souvent. »
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© 2003 das gefrorene meer - la mer gelée |