Numéro 3 - EXCÈS sommaire    actuel    ‹‹‹    ›››
 
 
Allégeance (extrait)
http://www.dtext.com/hache/lefranc/lefranc2.html
Alban Lefranc, Photos: Ingrid Gillain

Vous gesticulez la nuit en écoutant des morceaux hargneux, seul dans la libre surface étriqée entre la table et le lit, le corps cassé sourd à tout ce qui ne casse pas les genoux - le sang cogne, le sang voudrait jaillir.
Vous faites des pompes jusqu'au craquement des épaules, jusqu'au souffle infime filet tordu.
Vous courez le long d'un fleuve dans une ville que vous ne voyez plus. Des heures où la foulée va s'amplifiant : les jambes exultent, la poitrine épouse la vibration de l'air.
Vous buvez une trentaine d'heures d'affilée, des litres de n'importe quoi dans n'importe quel ordre, la fatigue de la nuit blanche vous oblige à cesser, il y a pénurie de cocaïne ces jours-ci, vous allez vous coucher dans un parc, transparent enfin à toute chose, bénissant les quelques amis imaginaires que vous n'avez cessé de vous inventer depuis la veille, de bien réels errants parfois qui font semblant d'y croire au zinc.
Vous frappez un imbécile qui vous a parlé d'elle. Son sang gicle sur votre dernière chemise propre. Il finit par avoir le dessus, votre bouche est dans le caniveau, il vous casse quelques côtes, des dents peut-être, vous riez. Vous entendez les coups l'enculé qu'il vous donne du métal de sa botte, vous pleurez de rire, vraiment c'est trop drôle, votre viande imbibée d'alcool ne sent rien.
Vous vous branlez éperdument au-dessus du lavabo, cerné par d'aigres néons jaunes.
Vous essayez de vous faire chasser de l'hôpital, vos assiduités vont à toutes les infirmières, de tous âges, toutes, pas de quartier. Un reste de pudeur vous retient auprès du personnel masculin. Ça marche. On vous fait signer une décharge au bout de deux jours.
Vous imaginez vous retirer chez les Trappistes à Soligny, toute votre vie rejailllissante entre la cellule et quelques pas dans le bois le soir, toute la vie dans l'intime corps à corps avec Dieu, le silence. Vous imaginez le désir très vite derrière vous, la bête crispation du désir, les gestes pris par la tâche et la prière. Un matin vous allez la guetter à la sortie de l'école, une heure tapi derrière un bosquet. Elle ne sort pas.
Vous tombez sérieusement malade, comme des bouffées de chaleur qui vous scient les os, vous délirez, vous avez peur de mourir, vous récitez des Notre Père, vous vous moquez de vous, JE VAIS TE COGNER LA TETE CONTRE LE MUR vous vous dîtes - elle vous raille elle aussi, se tord de rire dans les ombres de la chambre.
Vous vous préparez.
Vous vivez à la surface de vos cuisses, de vos épaules, avec l'envie, les images, les gestes sus par cœur à force, les gestes impossibles imaginés.

La suite de ce texte sur le site de Hache :
http://www.dtext.com/hache/lefranc/lefranc2.html

Dresde - Paris, Novembre 2001 - Octobre 2002

Alban Lefranc: sur l'auteur
Ingrid Gillain: gridy@web.de

 

   
« Mood : Fucking angry. Affect : Very angry. »
© 2002   das gefrorene meer - la mer gelée