[Le texte suivant, d'Olivier Szulzynger, est paru dans le numéro 9 de la Rue Saint Ambroise, revue littéraire disponible en librairies. Dans la même revue, on recommande particulièrement les courts textes bien saignants de Isabelle Sofjer.]

Ami prof,
Tu as une mission difficile,
Mais essentielle,
Tu apportes la culture,
Notre culture,
Au cœur des banlieues déshéritées,
Tu enseignes,
Tu éduques,
Tu es l'ultime rempart
Quand tout a cédé,
Dis-tu,
Ami prof.
Tu distribues des notes surtout,
Bonnes ou mauvaises.
Tu classes,
Tu tries,
Tu choisis :
Un tel sera utile à notre monde,
Cadre clairvoyant,
Employé dévoué,
Ouvrier habile.
Tel autre, non,
Zéro,
Impossible !
Heureusement, il reste le deal
Ou le R.M.I..
Ami prof,
Grâce à toi, tous savent
Que l'argent que je gagne
(Beaucoup d'argent,
Bien plus que tu n'en auras jamais)
Est mérité,
Puisque j'ai été un élève appliqué,
Brillant même.
Ainsi nul ne squatte
Mon triplex dans le onzième,
Ou ma bastide pyrénéenne.
Au pire, la violence
Que tu leur instilles jour après jour
- Vous êtes nuls, sortez ! -,
Tes élèves la retournent contre eux
Ou contre leurs proches,
Flot de voitures incendiées.
Ami prof,
Tu es amer,
Tu t'estimes méprisé,
Alors que c'est sur toi,
Sur ton labeur acharné,
Petite fourmi consciencieuse,
Que l'ordre social
Repose.
Sans toi,
Est-ce que les pauvres accepteraient
D'être pauvres ?
Et pourtant, personne ne t'en remercie,
Même pas moi.
Ami prof,
Que veux-tu,
Depuis que le monde est monde,
Les nantis n'ont guère de sympathie
Pour leurs matons et leurs flics.
Ton courage,
Ta cruauté,
Ta veulerie
Ne sont pas récompensés.
Mais je le sais, ami prof,
Notre ingratitude
Ne t'empêchera pas de poursuivre ta tâche
Avec compétence et détermination.
Car entre nous, ami prof,
Si tu fais ce que tu fais,
C'est que tu aimes ça.
Alors cesse de gémir,
Sur tes conditions de travail déplorables
Et ton salaire insuffisant.
Tu jouis, ami prof,
Tu es payé.