das gefrorene meer, jahrgang 2001
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Du combat pour la vérité au combat pour la réalité
Robert Seyfert, traduction: Alban Lefranc

« Car la réalité est terriblement supérieure à toute histoire, à toute fable, à toute divinité, à toute surréalité. »
(Artaud, Van Gogh, le suicidé de la société)

Ma thèse pourrait s'énoncer ainsi: nous menons aujourd'hui le même combat pour le concept de réalité que celui qui fut mené autrefois pour le concept de vérité.

Le concept de vérité transcendante a été banni dans le royaume de l'irrationnel et du mystique (passant ainsi dans l'indicible, dans ce qui ne peut être discuté); et ainsi, vidée de son sens originel, la vérité a été mise exactement sur le même plan que l'ordre des faits réels, elle est devenue l'autre nom de la réalité.

Ce processus prend donc la forme soit d'une malédiction, soit d'une trivialisation. A la place de la vérité est venu s'installer ce que nous comprenons maintenant sous le terme de réalité; une réalité dont la division en sphères distinctes provoque sans cesse de nouveaux débats sur ce qu'est un réel supposé véritable, par rapport aux autres sphères dévaluées. Dans ce genre de querelle, on se sert d'une méthode bien connue: l'autre réalité est dénoncée comme apparence (Traumwelt), comme rêve, dans le pire des cas c'est comme existence virtuelle qu'elle est rejetée.

« Ce que les écrivains
écrivent n'est rien contre la réalité
oui oui ils écrivent oui que tout est affreux
que tout pourrit que tout déchoit
que tout est catastrophique
et que tout est sans issue
mais tout ce qu'ils écrivent
n'est rien contre la réalité
La réalité est si grave
qu'elle ne peut être décrite
Aucun écrivain encore n'a décrit la réalité exactement
comme elle est
C'est ça qui est affreux »

(Bernhard, Place des Héros)

 

QUAND LE REEL N'ETAIT PAS ENCORE LE VRAI

Dans la tradition critique, l'indication que le réel n'est jamais le vrai est encore une évidence: « Ce qui est ne peut être vrai » (Ernst Bloch, Questions philosophiques, Francfort, 1961). La vie repose ainsi sur un fondement transcendant, dans la mesure où la réalité n'est qu'une surface de projection (et même en tant que telle peu fiable) de ce qui se tient derrière: le vrai. A l'origine de ce raisonnement on trouve les Grecs, au premier rang desquels Platon et sa parabole de la caverne.(1)
Cette conception fut longtemps opposée à celle d'Aristote, selon laquelle les choses concrètes (Einzeldinge) sont des êtres vrais. Cette présentation ne rend pas justice à la complexité et à la richesse d'Aristote. Je voudrais néanmoins développer cet autre pôle qui a le mérite, malgré son inexactitude relative, de marquer une opposition claire à la thèse platonicienne:
Suivant cette présentation d'Aristote, « être » ou « est »indique que« quelque chose est vrai. » (Metaphysique, 1017, b 31)

Cette banalisation de l'ontologie platonicienne est idéale pour montrer quelles possibilités sont offertes par le couple Réalité- Vérité. D'une part l'homme de la caverne vivant dans le Non-Vrai, dans un monde d'apparence auquel il doit s'arracher, non sans effort (chez Platon une contrainte extérieure est nécessaire, qui arrache l'homme à sa caverne et le contraint à voir le vrai). D'autre part la sobre constatation que de ce côté il n'y a rien à chercher: épargnons nous le redoublement de la réalité (la conception d'un univers dans lequel se trouveraient les correspondants vrais de nos images) - tout se donne à voir comme cela est!

On sous-estimerait l'acuité d'Aristote et la complexité de sa pensée si on considérait que l'interprétation médiévale (qui opère cette simplification) a dit le dernier mot sur sa pensée. Présenter dans les détails sa métaphysique outrepasserait largement le cadre de ce travail. Qu'il soit permis néanmoins de renvoyer à des passages tels que ceux-ci: « la dernière matière est celle de l'être le plus réel » (Métaphysique, 1070, a 20)… ou: « ainsi la dernière matière et la forme sont une seule et même chose: l'une selon la puissance et l'autre selon la réalisation » (idem.; 1045, b 15). On voit ainsi à l'œuvre une conception de l'être par degrés croissants de réalité, ceux-ci correspondant à une augmentation de vérité. Le point culminant de ce processus ne doit pas être seulement associé au Mobile immobile, ou au Dieu chrétien.(2)

Fondamentalement, les Grecs supposent l'accessibilité de la vérité, même si celle-ci chez eux est très liée à une inspiration divine ou au moins à un don (qu'on pense au démon de Socrate ou aux traces de Plotin). La conception d'une inaccessibilité ou d'une relativité de la vérité leur était étrangère.(3) (4)


LA VERITE SE DELITE

« L'amour de la vérité et la croyance en elle ont subi un raffinement tel que, pour fonder et justifier suffisamment le premier pas à l'intérieur du temple vénéré, on construit un vaste vestibule dans lequel on s'épargne ce fameux premier pas en s'occupant interminablement d'analyse, de méthode, de récit, jusqu'à ce qu'on puisse se consoler de son incapacité à philosopher en se convaincant que les pas téméraires des autres ne furent rien d'autre que des exercices préparatoires ou des égarements de l'esprit. » (Hegel)

Le soupçon croissant porté sur ce type de vérité transcendante fut associé à la remise en cause de l'idée de divinité. La relativité de la vérité, son inaccessibilité menacent quand l'homme seul (et j'entends ici sous ce terme la raison en l'homme) est légitimité à trouver la vérité. Il ne s'agit pas ici de traiter de la différence homme-animal (l'homme comme animal raisonnable) mais d'observer comment la compréhension de la vérité évolue quand elle est liée à la raison, quand on impose à cette possibilité (saisir le vrai) des critères strictement humains.

C'est ce qui se produit chez Kant. L'examen des structures de la raison pure met à jour des normes qui déterminent à l'avance nos perceptions. A la suite de Kant, on doit dire que l'idée de vérité ou l'idée de dieu sont en l'homme. Il faut alors conclure que rien ne permet de passer de ces idées à une preuve de l'existence ou de l'inexistence effective de dieu ou de la vérité: ces idées sont des dispositions subjectives (présentes dans l'homme en tant qu'il est sujet).

Hegel critiqua ce présupposé de Kant, resté célèbre aujourd'hui sous le nom de Sujet constitué de la connaissance (« das fertige Erkenntnissubjekt »). De la séparation kantienne entre objectivité absolue et subjectivité absolue, Hegel put dire: « Meilleure la méthode, plus absurdes ses résultats. » L'argument que toute la connaissance, parce qu'elle se constitue de façon transcendantale, est subjective, présuppose que cette connaissance n'a aucun lien avec le monde objectif. C'est ce que conteste Hegel: « C'est justement dans l'intuition transcendantale que l'identité du subjectif et de l'objectif, qui sont encore distincts dans l'intuition empirique, devient consciente. »

Si cette vérité transcendante est tenue pour possible chez Wittgenstein, ce n'est pas la raison qui la crée: la raison ne peut la saisir et voici la vérité repoussée ainsi dans l'indicible, l'inaccessible ou le religieux. « Ce dont on ne peut parler, il faut le taire. »(Wittgenstein, Tractatus logico philosophicus ) mais le même auteur peut écrire: « L'état du monde est totalement indifférent au plus haut. Dieu ne se manifeste pas dans le monde. »
Ceci ne dit rien sur l'existence de la vérité: elle devient seulement, scientifiquement au moins, inaccessible.
La vérité au sens grec a été rejeté comme fantôme métaphysique sur le chemin vers la modernité. « Il y aussi l'indicible. Cela se montre, c'est le mystique. »

Certains pourtant n'hésitent pas à parler de ce qu'on doit taire: « Vérité, Réalité et Sensibilité sont identiques. » (Feuerbach).
A cette identité qu'affirme Feuerbach entre réalité et vérité, personne ne peut mieux répondre que Heidegger: « Tant que nous parlons et opinons ainsi, nous continuons de comprendre la vérité comme justesse, laquelle exige en outre une condition préalable que nous-mêmes posons sans trop savoir comment ni pourquoi (…) Nous, et toutes nos représentations adéquates, ne seraient rien et nous ne pourrions même pas présupposer qu'il y ait déjà quelque chose de manifeste à quoi nous conformer, si l'éclosion de l'étant ne nous avait pas déjà exposés en cette éclaircie où tout étant vient se tenir pour nous, et à partir de laquelle tout étant se retire. » (L'origine de l'œuvre d'art, traduction: Wolfgang Brokmeier). Heidegger constate l'impossibilité de réduire le concept de vérité à celui de justesse (à la correspondance avec les faits constatables) et refuse de contourner ainsi la difficulté. Avant de constater la justesse d'un fait (la justesse tenant lieu alors de vérité), il nous faut bien présupposer la possibilité de percevoir ce fait

La différence avec la dispute classique sur la vérité tient à ce que nous avons quitté la sphère du doute sceptique, le domaine de l'humble non-savoir socratique (« je sais que je ne sais rien. ») pour nous en tenir à de pures analyses de réalité. (reine Wirklichkeitsanalyse)

LA VERITE COMME DURE REALITE

Non seulement l'abandon du concept grec de la vérité conduit à un retournement de la philosophie - qui perd son sens originel d'amour (recherche) de la vérité pour devenir amour de la vie - mais il ne simplifie en rien les choses. On peut renoncer à atteindre la vérité: la réalité semble aussi difficile à manier, et les hommes n'en finissent pas de tergiverser à son sujet.

Récapitulons l'opposition: d'un côté une contemplation ouverte sur le cosmos cherche la vérité, pensée donc comme un absolu, et de l'autre, nous limitant au microcosme de notre perception, nous coupons les cheveux en quatre au système de perception humain.
On a cherché à se débarrasser de problèmes que les différentes méthodes et systèmes n'avaient pas résolus, et on atterrit dans une réalité du monde de la vie (« Lebenswelt », au sens de Husserl), caractérisée par des écarts de perceptions et des différences de perspectives entre les sujets. Ce qui fut autrefois recherche de la vérité est devenu aujourd'hui simple effort pour quitter les mondes virtuels. Le combat pour la vérité: il est mené de nos jours dans des secteurs de recherche en augmentation constante, et pas seulement dans le monde anglo-saxon, comme les gender studies, le féminisme, les race studies, disability studies, qui visent tous une correction de la perception, une mise en échec de la normalité, leur grand ennemi commun. Comme il est aisé de tirer la couverture de la perception dans un grand nombre de direction, et aussi souvent qu'on le veut, un changement de paradigme n'est pas pour demain.(5) On peut s'attendre à l'avenir à ce qu'on fasse fructifier les niches les plus minuscules, les marginalités les plus rares, et surtout à ce qu'on les concilie avec la plus grande efficacité.(6)

« Le tout finalement se résout en systèmes de formules, liées étroitement les unes aux autres, et dans le monde entier il n'y a qu'une dizaine de personnes qui comprennent de la même manière une chose aussi simple que l'eau; tous les autres en parlent dans des langues qui s'étalent entre aujourd'hui et quelques milliers années en arrière. »
Musil, L'homme sans qualités.

FACTICITE ET MONDE DE LA VIE
(la langue détermine la vérité)

Un exemple de ce combat pour la réalité est la discussion déclenchée par les attentas du 11.Septembre. Il ne manque pas de voix pour annoncer, après ce choc, un réveil et une entrée dans « le désert du réel ».(7)

Son analyse de la langue quotidienne avait conduit Wittgenstein au constat qu'il n'y a pas UNE langue mais une grande pluralité de jeux de langage. Chaque jeu de langage dépend d'un contexte déterminé. Une compréhension de la réalité doit donc tenir compte du monde de la vie particulier (Lebenswelt) de chaque individu. Le concept de vérité est alors lié à cette utilisation de la langue dans le monde de la vie. Puisqu'il n'y a pas une langue, il n'y a pas non plus une vérité: il nous faut accepter la relativité et la pluralité de la vérité (qu'on pense à Putnam et Kuhn)

L'analyse de la langue a conduit à relativiser la vérité. Mais tout ceci rend la vérité dépendante de l'homme, et seulement de lui: ce qu'elle ne fut jamais chez les Grecs. Un nouveau problème surgit: les hommes constatent que toute connaissance n'est qu'humaine mais leur totalitarisme subjectif leur fait confondre la vérité avec la perception. Il serait conséquent de demeurer dans la sphère subjective de Wittgenstein, et de quitter ainsi le cadre originel de la philosophie.

Pour autant celle-ci ne cesse pas de s'enraciner dans l'étonnement. Nous ne voulons certes plus parler de vérité au sens classique mais l'étonnement demeure. On analyse maintenant le réel, ce qu'il est permis d'en dire: les philosophes sont devenus une instance critique, chargés de corriger la perception du corps social. L'homme a conservé ce désir qui lui est propre d'atteindre la vérité mais il a mis dogmatiquement de doubles verrous à celle-ci. La démarche postmoderne déconstruit inlassablement la normalité.
Le cadre de la vérité transcendante n'est pas exclu, mais il a quasiment disparu de la recherche universitaire actuelle.

Les écrits de Beckett illustre la possibilité d'une recherche de la vérité - et c'est bien le sens de la philosophie, qui n'est pas possession de la vérité - au risque de l'inconnu et de l'obscurité: « Voilà ma vie, pourquoi pas, c'en est une, si l'on veut, si l'on y tient absolument, je ne dis pas non, ce soir. Il en faut, paraît il, du moment qu'il y a parole… »
Sans prétendre être un inédit philosophique, cette formulation opère un renversement de la philosophie du langage de Wittgenstein.
Ce passage de Textes pour rien montre qu'en gardant les mêmes variables le dogme de Wittgenstein: « Les frontières de ma langue sont aussi les frontières de mon univers » peut être pensé de façon ouverte. La variante beckettienne n'ajoute rien à Wittgenstein mais elle pense ou tâtonne au-delà de ce monde: au lieu de cloisonner, elle cherche à dépasser le monde de la vie.(8)

(A ce sujet je renvoie à mes Remarques sur Beckett-Descartes)

Débarrasser le concept de transcendance de son aura mystique et renouer avec ce concept: quel autre recours quand la conversion à la réalité n'a pas donné les résultats escomptés? Pour le formuler classiquement: la vérité pense cosmiquement, quand la réalité n'est que subjective.
En physique on a recours sans scrupules à des constructions transcendantes et métaphysiques: la mécanique quantique, la théorie des strings, la théorie des hyperespaces et de l'hyperdimensionnalité; la surdimensionalité pouvant être considérée comme la définition tout court de la transcendance.

ON DEVRAIT PHILOSOPHER AVEC LES JOURNAUX DU MATIN. (HEGEL)

« Non non j'étoufferais immanquablement
sans les torchons autrichiens
Vous économisez des fortunes de comprimés
si dès le petit matin
vous vous livrez à l'absolue bêtise du Kurier et du Kronenzeitung
la circulation sanguine grâce à eux entre en fureur dès le petit matin. »

(Thomas Bernhard, Place des héros)

Depuis la conception husserlienne d'un monde de la vie, la description d'une arrivée dans le réel, dans la dure réalité, est le recours idéal pour remplacer la conception ancienne de la vérité. Alfred Schütz a repris la conception de Husserl pour subdiviser le dur univers quotidien et nous montrer les différents moyens de le fuir. Pour Alfred Schütz, les limites extrêmes du monde de la vie sont le dur monde du quotidien d'une part (c'est l'univers inévitable des contraintes) et le monde du rêve d'autre part. Chaque situation quotidienne prend sa place dans une catégorie: il est impossible de se soustraire à des données matérielles élémentaires quand on traverse une rue, tandis que le rêve nous libère même de la causalité.

Quand Zizek affirme que la population américaine est revenue au réel après les attentats du 11 septembre et a mis fin ainsi à son congé loin de l'Histoire, il suppose rompu l'équilibre entre monde du rêve et dure réalité, que les Américains jusqu'ici vivaient dans un monde faux.(9) Il interprète des films comme The Truman show et Time out of joint non comme des fictions mais comme signe d'un temps spécifiquement américain: « le paradis californien de la consommation, le capitalisme tardif, irréel et vide dans son hyper-réalité ». A supposer que ces analyses soient justes et qu'il y ait quelque chose comme une « réalité plus réelle », on a ici un exemple de ce que la vérité est comprise comme sens de la réalité (de ce qu'est la réalité).Un autre exemple est fourni par une interview de Wenders où on l'interroge sur le reproche qu'il fait aux Etats-Unis d'entretenir volontairement une certaine indistinction entre fiction et réalité: « Les informations sont devenues du pur divertissement et maintenant qu'il est important de distinguer celles-ci de celui-là, on n'y parvient plus. »

Je ne reproche pas aux personnes citées de rater le concept de vérité; leur activité montre au contraire que le concept de transcendance s'est déplacé dans le domaine de la réalité, mais aussi qu'on est bien loin de renoncer à la métaphysique.

LA VERITE TRANSCENDANTE: L'OUVERT

Pourquoi conserver la pensée transcendante, l'exigence du vrai? La limitation au prétendu réel ne permet absolument pas d'obtenir la clarté attendue. Plus grave: il semble que ce concept se laisse instrumentaliser à merci, et puisse servir des intérêts occasionnels. On ne peut nier qu'une supposition implicite est à la base de toute affirmation de réalité. On peut penser au bien des Grecs, qui porte aujourd'hui la tare du normatif.

Mais s'il s'avère qu'on ne peut éviter ce danger, un concept de vérité transcendante offre l'avantage de libérer les hommes de leur isolement nihiliste. Si la pensée se réduit à ne penser que la réalité, l'homme ne fait plus que se rencontrer partout lui-même (Heidegger). Et si l'on peut retracer historiquement ce processus de méfiance croissante (La Critique de la raison pure, la séparation entre sujet et objet, l'opposition entre l'homme et la nature marquant quelques jalons), il n'en est pas moins difficile de penser ou imaginer l'homme, de croire en lui sans contexte transcendantal.

« Malheur! Voici venir le temps où l'homme ne lance plus la flèche de son désir au-delà de l'homme! »
(Nietzsche, Zarathoustra)

Robert Seyfert: sur l'auteur

NOTES:

(1)
« Eh bien après cela, dis-je, compare notre nature, considérée sous le rapport de l'éducation et du manque d'éducation, à la situation suivante. Voici des hommes dans une habitation souterraine en forme de grotte, qui a son entrée en longueur, ouvrant à la lumière du jour l'ensemble de la grotte; ils y sont depuis leur enfance, les jambes et la nuque pris dans des liens qui les obligent à rester sur place et à ne regarder que vers l'avant, incapables qu'ils sont, á cause du lien, d tourner la tête; leur parvient la lumière d'un feu qui brûle en haut et au loin, derrière eux; et entre les feu et les hommes enchaînés, une route dans la hauteur, le long de laquelle voici qu'un muret a été élevé, de la même façon que les démonstrateurs de marionnettes disposent de cloisons qui les séparent des gens… Vois aussi. le long de ce muret, des hommes qui portent des objets fabriqués de toute sorte qui dépassent du muret, des statues d'hommes et d'autres êtres vivants, façonnés en pierre, en bois, et en toutes matières; parmi ces porteurs, comme il est normal, les uns parlent et les autres se taisent. C'est une image étrange que tu décris-là, dit-il., et d'étranges prisonniers. Semblables á nous, dis-je. Pour commencer en effet, crois-tu que de tels hommes auraient pu voir quoi que ce soit d'autres, d'eux-mêmes et les uns des autres, que les ombres qui, sous l'effet du feu, se projettent sur la paroi de la grotte en face d'eux? Comment auraient-ils fait, dit-il, puisqu'ils ont été contraints, tout au long de leur vie, de garder la tête immobile? »
(Platon, la République, livre VII, 514, 515; traduction de Pierre Pachet)

(2)
Le nouveau livre d'Emil Angerhn traite en détails cette question: lui-même utilise le concept d'une ontologie plurielle de la substance.

(3)
« Au cœur de cette idée: Dieu est lumière. A cette lumière initiale, incréée et créatrice, participe chaque créature. Chaque créature reçoit et transmet l'illumination divine selon sa capacité, c'est-à-dire selon le rang qu'elle occupe dans l'échelle des êtres, selon le niveau où Dieu l'a hiérarchiquement située. Issu d'une irradiation, l'univers est un jaillissement lumineux qui descend en cascades, et la lumière émanant de l'Etre premier installe à sa place immuable chacun des êtres créés. Mais elle les unit tous. Lien d'amour, elle irrigue le monde tout entier, elle l'établit dans l'ordre et la cohésion et, parce que tout objet réfléchit plus ou moins la lumière, cette irradiation, par une chaîne continue de reflets, suscite depuis les profondeurs de l'ombre un mouvement inverse, mouvement de réflexion, vers le foyer de son rayonnement. De la sorte, l'Acte lumineux de la création institue de lui-même une remontée progressive de degré en degré vers l'Etre invisible et ineffable dont tout procède. Tout revient à lui par le moyen des choses visibles qui, aux niveaux ascendants de la hiérarchie, réfléchissent de mieux en mieux sa lumière. Ainsi le créé conduit-il à l'incréé par une échelle d'analogies et de concordances. »
(Georges Duby, Le temps des cathédrales, Gallimard, 1976, p 124)

(4)
« Une troisième classe enfin est formée par les hommes possédant la grâce de dieu: leur force est plus grande et leur œil plus perçant: c'est ce qui leur permet de voir déjà l'éclat qui est là-haut, de s'élever au-dessus des nuages et du monde nébuleux; ils demeurent là-bas dans ces hauteurs, tiennent tout ce qui est terrestre pour peu de chose et se désaltèrent à ce lieu de vérité qui leur est héréditaire… »
(Plotin, Ennéades, V9)

(5)
J'attends avec impatience un méta-changement de paradigme, la fin des changements de paradigme.

(6)
Chaque année on attire l'attention sur une espèce animale menacée, on élit par exemple l'oiseau de l'année, qui en 2002 n'est autre que le moineau.

(7)
Salvoj Zizek: Bienvenu dans le désert du réel paru dans Die Zeit, 20.09.01 (le titre fait allusion au film Matrix)

(8)
Remarques sur Descartes-Beckett

(9)
Je ne dis pas que Zizek ne sait pas distinguer le concept de réalité de celui de vérité. Il se passe simplement du dernier et c'est là le justement le sujet de cet article. Même si Zizek considérait que la vérité est encore un thème philosophique, il se sentirait obligé de commencer par expliquer ce qui « est » véritablement.